Par Balak Gnazouyoufei
(Les articles () sont ceux de la loi n°2018-003 du 31 janvier 2018 portant modification de la loi n°2007-011 du 13 Mars 2007 relative à la décentralisation et aux libertés locales).
La décentralisation est un processus qui ne s’achève pas. Il est continu et doit s’adapter à tout temps aux exigences des populations. Ce processus aussi long soit il permet de créer ou d’enraciner une culture démocratique favorable au développement. Comme l’avons souligné dans notre précédent billet, la notion même de décentralisation est complexe en raison de son caractère polysémique et pluridisciplinaire. Toujours dans cette logique d’explication et de vulgarisation nous allons ici nous intéresse aux différentes raisons qui poussent les autorités d’un Etat à s’engager dans un processus de décentralisation, les différents designs de décentralisation qui peuvent exister, la justification et les principes clés de tout processus de décentralisation.
« Les rationalités décentralisatrices »
Les politiques de décentralisation se présentent comme un transfert de responsabilités autrefois détenues par l’Etat à des groupes constitués localement, avec à leur tête des exécutifs élus par les populations pour renforcer la légitimité et la liberté d’action de ces groupes infranationales. Ces politiques, selon Patrick Le Lidec, répondent à de véritables enjeux de pouvoir, de nombreux calculs et des rationalités diverses selon les moments et les pays considérés. Toujours selon cet auteur, l’observation comparée des politiques décentralisatrices à travers le monde montrent que ces dernières répondent au moins à quatre logiques politiques différentes. Il s’agit d’abord d’une stratégie politique rationnelle visant soit à conserver le pouvoir soit à le partager. C’est le cas lorsque des élites ou partis anticipent durablement les élections locales afin de s’assurer de l’obtention des meilleurs résultats ; ensuite d’une contrainte, si le gouvernement fait face à une forte pression de la part d’une classe d’élite locale. Dans ce cas pour prévenir les risques de sécessions (division d’un Etat pour en faire deux autres), l’Etat trouve dans la décentralisation un compromis.
Cette situation a existé (existe toujours) dans certains pays d’Afrique subsaharienne où au lieu de construire un « local viable » la décentralisation avait eu pour objectif de préserver, quoique de façon précaire, la paix sociale. Il peut aussi être question d’une simple stratégie de désengagement de la part de l’autorité centrale. A travers la décentralisation l’élite en place transfert son impopularité, blâme…ou des attributions difficiles et très couteuses. Enfin cela peut être une simple politique d’affichage. Nombre de pays africains se retrouvent dans cette dernière rationalité. On recourt à la décentralisation pour faire plaisir aux bailleurs de fonds qui en font une conditionnalité d’accès à l’aide au développement.
Les « designs » de décentralisation
C’est désormais connu de tous, la décentralisation peut prendre plusieurs formes, plusieurs designs. Tout dépend de l’agencement voulu par les autorités. La décentralisation peut être fiscale si elle vise à accroitre les ressources des assemblées locales. Elle peut être politique et renforcer la légitimité des élus locaux ou encore être administrative et consister ici en un accroissement des compétences au profit des autorités locales. Pour évaluer une politique de décentralisation il faut être très attentif à ces trois composantes, leurs degrés ; analyser les transferts de compétences s’agit il de simples compétences d’exécution ou alors de véritables compétences de conception ? il faut également prendre en compte les aspects financiers et fiscaux car derrière leurs aspects très techniques, ils sont révélateurs des rationalités mis en jeu.
Pourquoi décentraliser et quels sont les réels avantages ?
Dans tous les Etats qui ont connu la décentralisation, il y avait à la base un besoin. Celui de prendre en compte les préférences des populations résidant sur un espace particulier et organisé. L’Etat central ayant pour mission de satisfaire tout le monde sur l’étendue de son territoire à travers des services publics fondamentaux ne prends pas en compte les spécificités de chaque localité. L’Etat offre donc ou du moins aspire à offrir un service global identique pour tous. Il faut alors trouver le moyen pour prendre en compte les exigences particulières des acteurs locaux. Il est évident que les besoins en service publics ne sont les mêmes d’une localité à une autre.
C’est là qu’intervient la décentralisation, qui rappelons le va de pair avec la démocratisation. Les conférences nationales souveraines des années 90 se sont suivies d’un fort mouvement décentralisateur à travers le continent. La décentralisation va offrir deux moyens aux populations d’exprimer leurs préférences. D’abord les élections des autorités locales (voir les articles 47, 85… de la loi de 2018), de façon périodique, dans la transparence…. Et ensuite la possibilité pour les populations à la base de participer activement, dans des délais plus court à travers le vote annuel du budget par exemple, à l’animation de la vie locale (Art 15 à 22).
La décentralisation conduit à une amélioration du niveau de gouvernance. En laissant le soins (l’autonomie art 3,6,7,8) d’agir à des autorités au plus près de la population, on renforce la transparence (art 19, 20, 357), la responsabilité et la redevabilité (art 18, 357) car les électeurs, les acteurs de la société civile étant plus proche des élus peuvent sans trop de difficultés constater l’usage qui est fait des ressources de la collectivité et demander des comptes.
Enfin, il y’a un objectif de croissance dernière tout bon processus de décentralisation. Le développement local (art 7, 82, 83, 168, 169 …) est entre les mains des électeurs et de la société civile locale.
Les cinq principes cardinaux de la décentralisation
Ces principes ne sont certes pas exhaustifs mais on les retrouve généralement dans tout processus de décentralisation
– Libre administration
Sans trop rentrer dans les détails, le principe de libre administration des collectivités territoriales veut que toutes les compétences dévolues aux collectivités soient exercées par des assemblées élues au suffrage universel direct. Ces assemblées bénéficient d’une indépendance organique vis-à-vis de l’Etat, dispose de pouvoirs de décision propres…Mais cette libre administration peut supporter des limites. Nous sommes dans le cadre d’un Etat unitaire et l’unité du pays doit être préservée. Pour cela un contrôle de l’Etat sur les décisions des collectivités peut être prévue. Aujourd’hui le contrôle le plus répandu dans le monde est celui du contrôle de la légalité a postériori. Il s’agit simplement pour le représentant de l’Etat de s’assurer que les procédures prévues pour le vote d’un objet quelque conque au sein de l’assemblée locale respecte les normes établies. En cas d’irrégularité, il doit saisir la juridiction administrative qui est seule compétente pour y statuer.
A côté de ce contrôle de légalité il existe également un contrôle d’opportunité qui suppose qu’avant d’exercer une compétence les autorités locales doivent au préalable demander l’autorisation du représentant de l’Etat. Ce dernier se prononce dans ce cas sur le contenu même de l’objet en question. La situation au Togo reste un peu ambiguë sur la nature du contrôle à opérer. En effet, la loi n°2018-003 relative à la décentralisation et aux libertés locales semble prévoir ces deux types de contrôle. Contrôle de légalité aux articles 162 à 167 pour ce qui est des communes, 228 à 232 pour les préfectures et 296 à 302 pour les régions. Puis curieusement les articles 80 et 352 à 356 évoque un contrôle portant sur l’objet de la décision, son contenu, sa priorité, sa mise en application. Cette situation qui s’apparente clairement à un examen de l’opportunité pourrait être considérée comme inquiétante au regard de la libre administration.
– Subsidiarité
Le principe de subsidiarité signifie que les compétences doivent être exercées par l’échelon plus proche de la situation concernée. En clair les collectivités ont toute liberté pour agir sur toute question qui n’est pas exclue de leurs champs de compétences ou attribuée à une autre autorité.
L’exercice des responsabilités publiques incomber aux autorités les plus proches des citoyens et les plus à mêmes de les remplir. (Voir les art 3 et 70)
– Autonomie financière
L’autonomie ici renvoie deux éléments : l’autonomie financière en elle même et l’autonomie budgétaire. Seule la première nous concerne ici car la seconde qui fait référence à la capacité des collectivités à décider des missions et des dépenses est couverte par le principe de libre administration. L’autonomie financière c’est la capacité qu’on les collectivités à mobiliser les ressources propres suffisantes et proportionnées aux compétences dévolues par la loi. Une partie de ces ressources provient de redevances et d’impôts locaux sur le taux ou le tarif desquels les collectivités ont un pouvoir de décision. Elles doivent être suffisamment diversifiée et évolutive pour suivre l’évolution réelle des coûts des services fournis par la collectivité. (Voir les articles 6,61, 309-312 et 332)
– Solidarité
Le fait chaque collectivité dispose de l’autonomie financière et décisionnelle ne va pas sans conséquences. Les collectivités n’étant pas pareilles, certaines pourront disposer en raison de leur position, de leur croissance économique, des avantages énormes pouvant aller jusqu’à créer des disparités. Il faut trouver le moyen d’y remédier. C’est ce qui explique l’existence de mécanisme de péréquation. Ce mécanisme va permettre de cotiser de l’argent, et de le redistribuer de sorte à réduire les écarts de richesses entre les différentes collectivités présentes sur le territoire.
Alors que la Constitution en son article 38 évoque clairement le mécanisme de la péréquation, la loi de 2018 n’en fait que des références incidentes (lire par exemple les art 9, 25 de cette dernière).
– Coopération
C’est le droit reconnu aux collectivités de pouvoir coopérer, de s’associer avec d’autres pour la réalisation de tâches d’intérêt commun dans l’exercice de leurs compétences. Cela passe soit par des conventions, soit des syndicats communaux… les petites communes ne pouvant pas satisfaire toutes seules l’ensemble de leurs besoins trouvent dans la coopération un véritable remède. La loi 2018-003 consacre aux articles 25 à 42 de son chapitre V du Titre I, les différents mécanismes de coopération horizontale entre les collectivités à l’intérieur de l’Etat.
Pour finir notre propos nous dirons tout simplement que le cadre actuel notamment la loi n°2018-003 n’est pas exempte de critiques. Loin de là elle comporte du haut de ces 388 articles des insuffisances certaines et parfois des incohérences. Mais cela ne doit pas constituer un handicap au processus en cours. Le plus important à ce jour est que les populations soient sensibilisées sur leurs rôles dans l’aboutissement du processus et que les élections locales du 30 juin prochain soient un succès. Une fois cette étape franchit on pourra éventuellement envisager d’apporter des correctifs à la loi actuelle. La décentralisation est un processus long et continue…. Let’s go on