Par Marcel Akonaro
Las d’attendre des réformes constitutionnelles et institutionnelles sans cesse promises mais jamais réalisées ; et face aux atermoiements d’une opposition visiblement en mal de stratégie, Tikpi Salifou Atchadam du PNP (Parti National Panafricain) lançait le 19 août 2017, de gigantesques manifestations à travers le pays, pour protester contre la léthargie régnante. Il sera rejoint par 13 autres partis de l’opposition pour former la C14 (Coalition des 14 partis politiques). La répression fut au rendez-vous, avec son cortège de morts, de prisonniers, de réfugiés et de disparus. Si pour les morts et les prisonniers l’on sait le destin, le nombre, les noms et les visages, on n’en sait en revanche que très peu des réfugiés et disparus, dont nous avons suivi les traces.
Entre le 19 août 2017 et décembre 2018, le Togo vibrait au rythme de manifestations quasi bihebdomadaires. Manifestations rimant avec répressions et expéditions punitives au Togo, les villes de Lomé, Sokodé, Bafilo et Mango, qui se sont illustrées par leurs grandes mobilisations ont payé le plus lourd tribut. Passage à tabac, rafles et intimidations furent le quotidien des populations pendant cette période. Pour sauver leurs peaux, nombre de militants d’opposition n’ont eu d’autre choix que de prendre la clef des champs, laissant derrière eux, commerces, ateliers, champs, femmes et enfants.
En septembre 2017, nous étions à Mango dans le cadre d’un reportage. Nous eûmes la surprise de découvrir une ville déserte. Une ville sans sa jeunesse. Une vieille dame sexagénaire nous confiait alors : « Ils (les jeunes) sont tous partis, nous ne savons où. Mais c’est mieux que d’attendre et se faire arrêter et torturer. Nous attendons impatiemment que le calme revienne pour qu’ils puissent rentrer à la maison ». Son vœu ne sera pas exaucé de si tôt.
Si certains fuyards se sont cachés dans les montagnes et les champs des villages avoisinants, d’autres sont allés loin, très loin ; franchissant les frontières béninoises et ghanéennes pour se mettre à l’abri.
Issifou Touré, militant de l’ANC (Alliance Nationale pour le Changement), était enseignant à l’époque à Mango. Il dû tout abandonner en septembre 2017 pour se réfugier dans un camp de fortune à Chéréponi, au nord du Ghana, où s’étaient massés 571 Togolais, fuyant les rafles qui étaient en cours au Togo.
Sans soutien du gouvernement ghanéen ni du UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) ; et après près de deux ans passés loin de chez eux, certains exilés, dont Issifou Touré, se sont résolus à rentrer, mais non sans crainte d’être inquiétés. Que leur reste-t-il de leurs passés ? Issifou Touré : « En partant, j’élevais des moutons. À mon retour, l’on m’a rapporté qu’une bonne partie a été abattue par des hommes en treillis, qui avaient élu domicile chez moi pendant plusieurs jours, juste après mon départ ; espérant sans doute pouvoir m’arrêter. Une autre partie a été volée. Il ne m’en restait plus qu’une trentaine que j’ai vendu pour pouvoir survivre en attendant de reprendre une nouvelle activité ».
À ce jour, impossible de dire le nombre exact de militants encore en exil. Ceux qui sont rentrés du Ghana vivent dans la psychose, avec des moyens de subsistance indignes d’Êtres humains. Selon leurs témoignages, leurs camarades d’infortune restés à Chéréponi ont fini par se disperser, à la recherche d’activités pouvant leur assurer la survie. La plupart font du métayage dans les champs de citoyens ghanéens.
À côté de ceux qui, comme Issifou, ont pu trouver refuge dans les champs ou dans les pays voisins, il y a ceux qui sont portés disparus, et dont les parents meurent d’inquiétude. Teouri Alassani, 22 ans à l’époque des faits, a été porté disparu, par un jour de décembre 2018. Nous étions à quelques jours des élections législatives du 20 décembre 2018. Selon les informations, ce militant du PNP a été arrêté à Agoè Zongo, par des hommes en civils, alors qu’il participait à une manifestation de l’opposition contre l’organisation des législatives. Il fut passé à tabac, puis abandonné dans une brousse. Après une brève hospitalisation, il quitta l’hôpital sur recommandation de sa tante qui craignait une descente des soldats ou des miliciens. Depuis, plus personne n’a de ses nouvelles. Sa tante, avec qui nous nous sommes entretenu témoigne : « lorsqu’il a été hospitalisé, nous avons été averti. J’allais régulièrement le voir. Ayant appris que des personnes étaient allées frapper et arrêter les blessés dans les hôpitaux à Sokodé et ailleurs, je lui ai demandé de se sauver avant qu’il ne se retrouve à nouveau entre leurs mains. Il parti lorsqu’il pu récupérer des forces ». Où est-il à présent et que devient-il ? « Dans les premiers jours, il donnait des signes de vie. Mais avec le temps, c’était silence radio. A-t-il finalement été arrêté sans que nous le sachions ? S’est-il réfugié dans un pays voisin ? Ou est-il mort ? ». La tante, qui caresse l’espoir de retrouver un jour son neveu, est par moment gagné par le doute et la peur de ne plus jamais le revoir.
Plus de trois ans après le début de cette crise politique, difficile de faire un bilan précis des morts et des disparus. Certaines familles, dont des membres sont morts ou disparus, hésitent à se manifester, de peur d’être étiquetées comme opposants, puisqu’au Togo, dans certains milieux, être affublé de cet adjectif peut s’avérer dangereux. Il faudra donc attendre longtemps encore pour que la parole se libère. Tant de larmes et de sang versé ; tant de vies et de destins brisés pour résultat à la fin ?